Monday, June 7, 2010

Nouriel Roubini : "Nous sommes dans une zone dangereuse"

Nouriel Roubini, professeur à l'université Stern de New York, à Washington, le 30 octobre 2008.

ouriel Roubini, professeur à l'université de New York, est l'un des rares économistes à avoir vu venir la tempête financière de 2008. Invité de la conférence de Zermatt (Suisse) sur le thème "Humaniser la mondialisation", il livre son analyse sur la crise actuelle de l'euro.


Vous avez évoqué un possible "éclatement" de la zone euro. Persistez-vous dans ce pronostic ?

Le risque existe. Le problème principal de l'Union monétaire, au-delà des déficits excessifs, est que certains pays ont perdu en compétitivité. L'un des moyens pour la restaurer consiste à renoncer à l'euro et à revenir aux monnaies nationales - drachme, peseta ou escudo.
Ne pas le faire obligerait ces pays à réduire les salaires ce qui provoquerait une récession. Opter pour la solution allemande, c'est-à-dire restructurer l'appareil productif, prendrait trop de temps. In fine, la seule option pour éviter un éclatement de la zone euro et regagner en compétitivité est de faire plonger l'euro. Parti de 1,50 dollar, il est descendu à 1,20. Il peut chuter jusqu'à la parité avec le dollar. La Banque centrale européenne (BCE) doit jouer son rôle en adoptant une politique monétaire accommodante.








Quelles seraient les conséquences de "l'éclatement" de l'euro pour l'Europe et pour le reste du monde ?

Si ce scénario se concrétise, ce que je ne crois pas à court terme, seuls un ou deux pays quitteront la zone euro. Ce processus peut être orchestré de façon ordonnée pour limiter les dommages au système financier, comme ce fut le cas au Pakistan ou en Ukraine : la vieille dette a été remplacée par une nouvelle dette avec une maturité plus longue et des intérêts maîtrisés.
En revanche, si les choses se font de façon désordonnée et précipitée, les dommages ne concerneraient pas seulement la région mais le monde entier avec des conséquences économiques, politiques et sociales.
Si plusieurs membres de l'Union monétaire décidaient de quitter la zone euro, l'Europe se recentrerait autour d'un noyau dur de quelques pays, plus homogènes en termes de politiques économiques et fiscales. Ainsi recomposée, l'Union monétaire pourrait survivre, même si la transition est délicate.

L'Europe n'est pas la seule à être en difficulté : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon sont également confrontés à des déficits publics gigantesques...

Oui et nous sommes, je pense, entrés dans une seconde phase de la crise. La mise en place de plans de relance keynésiens pour éviter que la récession ne se transforme en dépression a fait basculer l'amas de dettes privées vers le secteur public. Nous avons socialisé les pertes du secteur privé. Et nous sommes dans une zone dangereuse.

La situation est-elle tenable en l'état ?

Il s'écoulera sans doute beaucoup de temps avant que les Etats-Unis perdent leur note "AAA". Mais la maladie américaine, c'est un déficit budgétaire qui dépasse 10 % de son produit intérieur brut (PIB), 1 500 milliards de dollars (1 255 milliards d'euros). La situation n'est pas tenable. Pour le moment le pays est à l'abri, car l'appétit des investisseurs pour la dette américaine reste vif. Mais un jour les détenteurs de cette dette pourraient se réveiller, et dire "même les Etats-Unis sont dans une situation critique".

Que pensez-vous de la multiplication des politiques de rigueur ?

Augmenter les impôts et réduire les dépenses est socialement douloureux. Mais quelle est l'alternative ? Poursuivre des politiques budgétaires généreuses ? Les marchés ont déjà sonné l'alerte, le faire serait aller à la faillite. Quant à la solution qui consisterait à "imprimer de l'argent", cela conduirait à créer une inflation galopante. L'austérité n'est pas une option facultative.

Doit-on redouter une rechute de l'économie ?

En Europe oui. Avant la crise grecque, la croissance en zone euro était estimée à moins de 1 % en 2010. Compte tenu du choc intervenu au cours des trois derniers mois, si l'économie n'entre pas techniquement en récession la croissance sera proche de zéro, les Bourses vont continuer à chuter, les coûts de l'emprunt vont augmenter, les liquidités manquer, la confiance des investisseurs, des entreprises, des ménages, se détériorer. La croissance déjà anémique le sera plus encore.

Le G20 se réunit à la fin du mois pour discuter des nécessaires réformes de la régulation financière. Va-t-on dans la bonne voie ?

Le G20 est l'organisme de gouvernance mondial approprié, car les pays émergents devenus incontournables comme la Chine, le Brésil, l'Inde, la Russie, sont à la table des discussions. Des progrès ont déjà été faits pour améliorer la régulation financière en mettant sur pied des principes élémentaires de réforme de la régulation financière. Il faut aller au bout. Les crises ne sont pas un black swan (cygne noir), un événement imprévisible, mais un "cygne blanc", un événement prévisible et évitable.

Aux Etats-Unis, vous êtes surnommé Dr Doom (Dr Fatalis) du fait de votre pessimisme. Avez-vous une bonne nouvelle à nous annoncer ?

Je ne suis pas Dr Doom, mais plutôt Dr Réalité. Il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste mais d'analyser les faits. Et les choses que j'ai annoncées se sont malheureusement souvent produites. La bonne nouvelle est que, face à la crise mondiale, il y a une réaction politique. En outre, si le Nord reste en crise, l'économie est plus robuste dans les pays émergents. On assiste à la bascule de l'économie de l'Ouest vers l'Est, de l'Europe et des Etats-Unis vers l'Asie, du G7 vers le G20.

Propos recueillis par Claire Gatinois

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